vendredi 4 mai 2007

4. La mallette argentée

Le train véloce avale les rails argentés et les paysage hachés dévalent chaotiquement sous mon regard absent… Haha ! « Le train véloce… avale les rails argentés et les paysage hachés… dévalent chaotiquement sous mes yeux hagards », j’écrirais ça comme ça un jour si je devais raconter ma vie. Deux ou trois petites formules comme ça tout droit sorties d’une vieille lecture d’école… Le train s’enfonce dans la brousse verte sur ses rails blancs à la vitesse d’un shoot de coke… On verra bien.

Dans le train du retour, je pose la mallette sur la tablette désignée. Je l’ouvre en pensant à quelle qualité de pâté je ferais pour un clébard. Dans ma fiasque se trouve le restant du scotch. Je prends une gorgée, puis deux, puis trois. Les photos. Non ! Ça ne peut pas être vrai ! Des photos de Jamila. Dans son quartier, pratiquant son métier de putain. Toute sa vie résumée, comme dans un roman-photo. Un aller simple en ferry pour Algesiras. J’appelle Jamie. On décroche. On raccroche aussitôt. Je rappelle. Boîte vocale. Je pense qu’on ne répondra plus jamais. Jamie a été enlevée. Pourquoi Manuelo kidnapperait une simple prostituée ? Et pourquoi s’y intéresser de si près ? Et ces photos ? Un moment je me demande si elle ne devrait pas être embarquée pour l’Espagne. Peut-être devait-elle être embarquée hier ? Mais cela n’explique rien. Et mon flingue ? Dérobé ? Le seul moyen de le savoir est de rentrer à Casa. Et puis non ! C’est trop louche. Tout cela n’est pas du hasard. Cet enfoiré d’Akram viendra récupérer lui même sa mallette. Quant à moi je descendrais au prochain arrêt. Je regarde de nouveau dans la mallette. Deux autres billets pour Algésiras soutiennent mon hypothèse. Les imprimés contiennent des adresses de consulats européens à Rabat, horaires de train et de ferrys, adresses de banques en Espagne, en France, adresses d’hôtels à Algesiras, Almería, Carthagène, Elche, Valence… en France, Perpignan, Montpellier, Marseille, Toulon, Nice. Nice… Destination finale : Nice ? Sur un papier-lettre, des informations manuscrites : un code alphanumérique d’une douzaine de caractères, un nom espagnol, une ville, ce qui semble être un mot de passe, l’adresse d’une agence de transfert de fond à Algésiras, un montant : quinze-mille euros ! Le prix de l’escapade. Prochain arrêt Rabat. Midi quinze. J’appelle l’inspecteur. Il répond. Je le somme de venir me rejoindre au café de la gare de Rabat à seize heures tapantes s’il veut récupérer sa mallette. Plus que dix minutes avant de débarquer m’informe l’hôtesse par un message audio.

Je débarque dans une téléboutique du centre-ville et fais des copies des documents, adresses, et surtout des informations relatives au transfert d’argent. Je mets ces papiers dans la poche intérieure de ma veste et attends l’inspecteur Akram. Il viendra à coup sûr. Mais il est encore tôt. La faim parle et je me dirige vers Agdal, le nouveau centre. Il me reste quelques ronds en poche et un petit billet de cinquante ; à peine de quoi reprendre le train ou manger. Je redescends en ville en taxi-ligne pour quatre balles. Dans la voiture bleue se succèdent des conversations autour des élections, de l’intégrisme, des attentats d’hier à Casa. Trois morts et des blessés, m’apprend-on, à Derb El Haja. Naturellement, je me dirige vers la gare du centre-ville, au kiosque de transfert de fond. Je rédige les informations sur le formulaire. L’employé les vérifie et me nargue : l’argent me va bien. Il me demande si je veux la somme en euros ou en dirhams.

Tu peux me dire ce qui t’as prix petit morveux d’en faire à ta tête ? me lance l’inspecteur.

Je l’examine, j’évalue ses forces, nous sommes en terrain neutre. À Rabat personne ne le connaît. Il est vieux, je suis jeune, je crois pouvoir lui péter sa petite gueule d’enfoiré. Il semble lire dans mes yeux, il se rachète.

Écoute fiston, donne-moi cette mallette tu auras tes deux milles balles. Mais ne me fais plus jamais ça, compris ! Manuelo ne sait rien, il nous aurait fait tuer en un rien de temps. Alors fais gaffe à ta gueule !

Il retourne les talons et prend l’express pour Casa. Je n’ai jamais été aussi riche. Dois-je rentrer moi aussi et perdre l’argent aux cartes, ou bien rester ici et faire mon boulot d’enquêteur, tenter l’aventure ? Le choix est vite fait. Jamie ne m’attend pas, ni personne à Casa, je n’ai rien à perdre sinon une vie de chien errant.

Depuis l’enfance, je n’ai pas eu pareil sentiment d’optimisme. Ah oui bien sûr… mon âge ? Je suis encore un peu jeune, mais je suis un homme, j'ai vingt-six ans. Mais Jamie ? Et Jamie… Il faut que j’aille voir ce qui se passe à Casa.

Aucun signe de vie chez Jamie. Peut-être des traces d’agressions ou d’enlèvement. Le lit est défait comme je l’ai laissé. Une commode déplacée comme pendant la brutalité d’une scène de violence. Très violente apparemment, c’est que semblent indiquer ses quelques filaments de cheveux arrachés. Ceux de Jamila assurément. Bon, pas le temps de trainer, je les mets dans un sac et je saute dans un taxi. Dans quelques heures peut-être, avec beaucoup de chance, je pourrais les rattraper avant l’Europe. En plus si Manuelo se rend compte qu’il manque quinze milles Euros à sa mallette, ils lancera ses chiens de garde à mes trousses.

Dans le taxi, entre deux conversations hachées, le journaliste indique la disparition d’un nouvel enfant dans un quartier de Mohammedia, quelques renseignements sur le temps qu’il fera cet après-midi, mais rien sur l’enlèvement de Jamila ; autant d’informations dont je n’ai que faire. Seul me préoccupe le sort de Jamie. L’entrée de la gare m’apparait pour la première fois comme le portail d’un nouveau destin.